La fin de la course au volume : l’agroalimentaire en quête de valeur
Un modèle volume/marge remis en question.
Depuis des décennies, l’industrie agroalimentaire a misé sur un couple gagnant « volume/marge » : produire toujours plus pour optimiser les coûts unitaires et dégager des marges.
Or ce modèle montre aujourd’hui ses limites.
Plusieurs signaux faibles laissent penser qu’une transition est en cours, vers une stratégie recentrée sur la création de valeur plutôt que sur la seule quantité.
La consommation alimentaire ralentit en volume, les coûts augmentent et les marges souffrent : en 2024, près des deux tiers des industriels ont subi une hausse de leurs coûts et 45 % ont vu leurs marges se dégrader.
Parallèlement, les attentes évoluent : si certains consommateurs traquent les prix bas, d’autres aspirent à « consommer moins mais mieux ».
Face à ces tendances, l’agroalimentaire doit repenser son modèle économique.
Vagues de restructurations : un signal de transition
Les réorganisations se multiplient dans le secteur, signe qu’il faut s’adapter.
L’année 2024 a été qualifiée d’« année de transition » par les experts, marquée par des stratégies de rationalisation et de consolidation. De grands groupes se recentrent sur leurs activités clés et recherchent des synergies via des fusions-acquisitions.
Pas moins de 128 opérations de fusion/acquisition ont eu lieu dans l’agroalimentaire français en 2024, témoignant d’un mouvement de concentration du secteur.
Dans certains cas, on assiste même à des fermetures d’usines ou de sites de production traditionnels : par exemple, plusieurs abattoirs ont dû fermer en 2024 et des ateliers de découpe ont été liquidés, faute de rentabilité suffisante dans un contexte de volumes en baisse.
Ces restructurations illustrent la remise en cause du paradigme volume à tout prix.
Les entreprises cherchent désormais la bonne taille et le bon portefeuille de produits pour créer davantage de valeur ajoutée, plutôt que de courir après des volumes peu profitables.
Des contraintes réglementaires de plus en plus complexes
En parallèle, la pression réglementaire s’intensifie sur l’industrie agroalimentaire.
Les normes environnementales, sociales et sanitaires se multiplient, rendant l’exploitation de simples effets d’échelle plus ardue. Par exemple, le Pacte vert européen (Green Deal) impose une transition agroécologique ambitieuse.
S’il est justifié sur le plan durable, les études soulignent les difficultés économiques associées : une agriculture plus durable pourrait entraîner une baisse des volumes produits, que les hausses de prix ne compenseraient pas toujours, avec un impact incertain sur le revenu des producteurs.
De même, en France, la sécurité sanitaire fait l’objet d’un contrôle accru : une hausse de 10 % des inspections alimentaires a été décidée dès 2024, avec le renforcement des sanctions en cas de manquement.
Respecter ces nouvelles exigences (traçabilité, réduction des emballages plastiques, normes sociales, etc.) alourdit les coûts et complexifie les opérations.
Les grands acteurs, jadis avantagés par leur taille, doivent désormais mobiliser des ressources importantes pour rester en conformité, ce qui réduit d’autant l’avantage concurrentiel tiré des seules économies d’échelle.
L’innovation incrémentale à bout de souffle
Longtemps, les industriels ont misé sur l’innovation incrémentale,de petites améliorations de recettes, de nouveaux parfums, des packaging repensés, pour stimuler la demande. Mais ce moteur s’essouffle.
On estime que 80 % des nouveaux produits alimentaires sont retirés du marché en moins d’un an, faute de ventes suffisantes. En cause : beaucoup de ces nouveautés n’apportent qu’une valeur ajoutée limitée.
Souvent, il s’agit d’innovations « périphériques » (emballage original, forme inédite, gadget marketing) qui suscitent l’attention sans fidéliser le client.
Ce qui pouvait autrefois passer pour du dynamisme apparaît aujourd’hui comme de la surenchère gadget, coûteuse et peu efficace.
Les consommateurs, de plus en plus éduqués et soucieux de sens, ne se laissent plus séduire par des changements superficiels. Ils attendent des produits réellement meilleurs sur le goût, la santé, l’impact environnemental ou le service rendu.
Quant aux procédés industriels, ils ont déjà été optimisés des années durant ; les gains de productivité faciles ont été réalisés.
Désormais, répondre aux défis (réduction des émissions, circuits courts, qualité irréprochable) exige des innovations plus radicales, au-delà des simples ajustements de routine.
Quel avenir pour les économies d’échelle ?
Dans ce contexte chahuté, l’avenir des modèles fondés sur les pures économies d’échelle s’inscrit en pointillé.
Pour rester compétitives, les entreprises agroalimentaires semblent devoir changer de logique : privilégier la valeur sur le volume.
Concrètement, cela passe par des offres plus différenciées et qualitatives, quitte à produire moins mais mieux.
Ce virage vers le « fewer, bigger, better » signifie miser sur des produits à forte valeur ajoutée plutôt que d’inonder le marché de références redondantes.
Pour autant, les économies d’échelle ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Elles pourraient même rester un atout, à condition d’être réinventées.
On peut imaginer un modèle « hybride » où l’on mutualise le back-office industriel (achats, production, logistique) pour conserver des coûts bas, tout en multipliant les front-offices orientés clients (marques, recettes, expériences différenciées).
Ce modèle, inspiré de l’automobile (plateformes communes pour des marques variées), permettrait d’allier efficience et adaptation fine aux goûts des consommateurs.
La question reste ouverte : l’agroalimentaire saura-t-il opérer cette mutation ? Une certitude émerge cependant la course aux volumes à tout prix touche à sa fin.
La prochaine décennie verra les vainqueurs de l’agroalimentaire non pas parmi ceux qui produisent le plus, mais parmi ceux qui sauront créer le plus de valeur pour le consommateur, pour la société et pour la planète.
Sources : Agra Presse, Réussir.fr, Les Marchés, Commission européenne (Green Deal), DGAL, NielsenIQ, IRI, Kantar x ProtéinesXTC, Xerfi, Ministère de la Transition écologique.
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Expert des mutations alimentaires, cofondateur du média Pour nourrir demain, j’accompagne depuis dix ans les marques dans leur transition. Si vous voulez gagner du temps, prendre de la hauteur et mieux décider : parlons-en.
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