Les surgelés à la croisée des chemins : relance stratégique ou déclin programmé ?
Transparence, qualité et écoconception : les pistes d’une relance.
Longtemps plébiscités pour leur côté pratique et leur longue conservation, les produits surgelés sont aujourd’hui confrontés à des vents contraires.
Entre atouts historiques et remises en question contemporaines, le secteur se retrouve à un tournant décisif.
Un succès historique et des atouts indéniables
Dès le milieu du XXème siècle, la surgélation a révolutionné l’alimentation en permettant de conserver durablement les aliments tout en préservant saveur et nutriments.
Les surgelés ont séduit les consommateurs par leur praticité, des produits prêts à l’emploi, disponibles en toutes saisons et par leur accessibilité en prix et en distribution.
Stockés au congélateur, ils offrent une réserve alimentaire anti-gaspillage, prête à l’usage en cas de besoin.
Ces avantages en ont fait des incontournables du quotidien : aujourd’hui, 98,6 % des foyers français achètent des produits surgelés, pour un budget annuel moyen d’environ 220 € par famille.
Qu’il s’agisse de légumes nature, de viandes, de poissons ou de plats cuisinés, le surgelé a su s’imposer comme synonyme de gain de temps et de simplicité en cuisine.
Des défis actuels pour la filière surgelée
Cependant, le tableau s’est assombri ces dernières années.
D’abord, les ventes stagnent dans les marchés matures. Après le pic de demande observé durant les confinements de 2020 (où les surgelés ont servi de valeur refuge), la consommation s’est tassée.
En France, les volumes de ventes de surgelés ont reculé d’environ 1,4 % en 2023 par rapport à 2022, tandis que le chiffre d’affaires a été maintenu par l’inflation (+2 % environ).
Cette érosion en volume, couplée à la hausse des prix (+15 % sur l’année dans le rayon Grand Froid), traduit un arbitrage défavorable des consommateurs.
Ensuite, le secteur pâtit d’une image environnementale négative.
Les surgelés sont associés à des emballages plastiques abondants (sachets, barquettes) et à une forte consommation d’énergie pour la congélation et la chaîne du froid.
Comme le reconnaissent même les industriels, ces produits sont « gourmands en énergie, pour leur fabrication et pour le maintien de la chaîne du froid jusqu’à leur consommation ».
À l’heure où l’on traque le plastique à usage unique et les excès de CO₂, le bilan carbone du surgelé est scruté de près.
Enfin, une suspicion pèse sur la naturalité des produits.
Les consommateurs, de plus en plus attentifs à la qualité et à la composition, redoutent les plats surgelés ultra-transformés et additifs cachés.
Beaucoup privilégient désormais le frais, jugé plus authentique en goût et en qualité nutritionnelle.
En France, les produits bruts surgelés (légumes nature, viandes non cuisinées) bénéficient d’une image bien meilleure que les plats préparés industriels.
Des scandales sanitaires ont en outre entamé la confiance : par exemple, l’affaire des pizzas contaminées en 2022 (Buitoni) a provoqué un effondrement des ventes de pizzas surgelées (-25 % après le scandale) et marqué les esprits quant aux risques des produits mal contrôlés.
Ces défis combinés alimentent le débat : le surgelé est-il voué au déclin programmé, ou peut-il opérer une relance stratégique en se renouvelant ?
Un marché mondial de taille, mais un essoufflement en France
Malgré les vents contraires, le marché mondial des aliments surgelés reste considérable. Il représente près de 340 milliards de dollars de ventes en 2023, après une année 2020 record.
La demande progresse encore globalement, avec une croissance annuelle prévue autour de +4 à +5 % sur les prochaines années – une hausse modérée, témoin d’un marché arrivé à maturité dans de nombreux pays.
À l’échelle mondiale, ce sont les plats cuisinés surgelés qui génèrent la plus grande part des ventes, devant les produits de la mer, les légumes et les viandes. Le modèle du « ready meal » pratique séduit particulièrement en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.
En France, le secteur du surgelé, bien que mature, demeure significatif.
Le marché français du grand froid pèse environ 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 (dont près de 4 milliards pour les seuls surgelés salés). Cela correspond à plus de 2 millions de tonnes de produits commercialisés annuellement.
La pénétration est quasi-unanime dans les ménages, signe d’un ancrage profond dans les habitudes alimentaires.
Néanmoins, les tendances récentes montrent un essoufflement : sur l’ensemble de 2023, le rayon surgelé en grande distribution affiche des volumes en léger recul (de l’ordre de -1 à -2 % en cumul annuel), confirmant la stagnation post-Covid.
En parallèle, la valeur des ventes a été soutenue artificiellement par l’inflation, masquant en partie le déclin réel de la consommation.
Du côté des segments de produits, on observe des dynamiques contrastées.
En France, les produits bruts surgelés demeurent les piliers du rayon, portés par l’image de naturel.
Ainsi, la viande brute surgelée représente à elle seule environ 21 % du chiffre d’affaires du secteur, suivie par les produits à base de pommes de terre (frites, purées… 15 %) et par les légumes nature (près de 14 %).
Ces catégories de base résistent plutôt bien, avec des ventes stables ou en légère hausse malgré la conjoncture.
En revanche, d’autres segments sont en difficulté : les poissons surgelés accusent un recul constant depuis plusieurs années (hors exception du cabillaud plébiscité), et les plats préparés s’enfoncent dans la crise.
Victimes de leur image industrielle et de leur coût, ces plats cuisinés surgelés ont vu leurs volumes chuter de près de 9 % en 2023 en France. Ce segment, le plus affecté par la baisse du pouvoir d’achat, peine à regagner les consommateurs perdus.
Les produits glacés tirent leur épingle du jeu : en 2022, les glaces ont atteint en France un record de ventes sur dix ans (1,397 milliard €) et l’ensemble des surgelés sucrés a bondi de +7,7 % en volume.
La gourmandise et le plaisir occasionnel permettent ainsi à certains rayons (desserts glacés, pâtisseries, pains précuits) de compenser la morosité ambiante.
Transparence, qualité et écoconception : les pistes d’une relance
Face à ces constats, les industriels du surgelé explorent divers leviers de relance pour éviter le déclin et reconquérir l’opinion publique.
Le premier axe consiste à rassurer sur la qualité et la composition des produits. Les marques mettent en avant des recettes plus simples (moins d’additifs, listes d’ingrédients “clean label”), et jouent la transparence sur l’origine des matières premières.
Par exemple, un nouvel étiquetage d’origine volontaire, baptisé Origine’Info, est en cours de déploiement pour indiquer clairement la provenance des ingrédients principaux.
De plus, de nombreux surgelés arborent désormais des labels de qualité : le bio (AB), le Label Rouge, ou des certifications de pêche durable comme le MSC.
Chez Picard, plus de 60 % du volume des poissons sauvages vendus portent le label MSC, gage de durabilité et de traçabilité jusqu’à l’assiette.
Cette quête de transparence et de labels vise à redorer l’image des surgelés auprès de consommateurs échaudés par les scandales et méfiants envers l’ultra-transformation.
Le deuxième grand levier est l’adaptation de l’offre aux nouvelles habitudes de consommation.
Avec la diminution de la taille des foyers (plus de personnes seules ou de couples sans enfants), les industriels proposent des formats mieux ajustés : portions individuelles, plus petits conditionnements, produits portionnables et refermables pour n’utiliser que la juste quantité.
Cela répond à la fois au besoin de flexibilité et à la lutte contre le gaspillage.
Enfin, la filière s’est engagée dans une démarche d’éco-conception pour réduire son empreinte écologique.
Les efforts portent d’abord sur les emballages : substitution du plastique vierge par des matériaux recyclés ou recyclables, suppression des suremballages superflus, développement d’emballages en carton ou en bioplastique quand c’est possible.
Les géants du secteur, tels Nestlé ou Unilever, ont d’ailleurs annoncé des objectifs ambitieux d’utilisation d’emballages 100 % recyclables ou compostables à brève échéance.
Parallèlement, des travaux sont menés pour améliorer l’efficacité énergétique tout au long de la chaîne du froid : optimisation des entrepôts frigorifiques, camions frigorifiques moins polluants, congélateurs domestiques moins énergivores, etc.
L’adoption de bonnes pratiques RSE devient un passage obligé pour répondre aux attentes sociétales.
Comme l’observe un rapport, les entreprises intègrent désormais des critères d’empreinte environnementale et de traçabilité dans leurs démarches qualité, afin de rassurer les consommateurs sur la durabilité de leurs produits.
L’ensemble de ces initiatives, transparence accrue, offre repensée et progrès environnementaux, constitue la stratégie de relance d’un secteur bien conscient des défis à relever.
Innovations et initiatives marquantes du secteur
Concrètement, de nombreux acteurs du marché des surgelés ont déjà amorcé cette transformation.
Du côté des leaders historiques, on assiste à une montée en gamme et à une diversification de l’offre.
Findus (groupe Nomad Foods) par exemple investit dans de nouvelles gammes pour coller aux tendances actuelles : la marque a lancé Green Cuisine, une ligne de produits 100 % végétaux à base de protéine de pois, avec des équivalents de steaks, boulettes et nuggets végétariens.
L’objectif est de surfer sur la vague flexitarienne en proposant des alternatives plus saines et écoresponsables, tout en élargissant la clientèle au-delà des amateurs de poisson pané traditionnel.
De son côté, Picard Surgelés, enseigne française emblématique avec plus de 1 100 magasins spécialisés, multiplie les initiatives pour rester la référence du secteur : extension de sa gamme bio et locale, partenariats avec des chefs pour des recettes plus « haut de gamme », et développement de nouveaux points de vente.
La chaîne prévoit ainsi d’ouvrir 25 magasins franchisés par an d’ici 2026 pour accroître sa proximité avec les consommateurs.
Picard mise aussi sur l’innovation produit et la saisonnalité (par exemple, des collections éphémères pour les fêtes) pour créer de la nouveauté et de l’engouement autour du surgelé.
Les distributeurs et leurs marques propres ne sont pas en reste.
La part des marques de distributeur atteint d’ailleurs 50 % du marché en valeur en France, preuve de l’implication forte des enseignes.
Carrefour, Leclerc, Intermarché et consorts développent des gammes surgelées axées sur le Made in France, les recettes traditionnelles « comme maison » et les petits formats adaptés aux courses de proximité.
L’accent est mis sur le rapport qualité-prix et la confiance, afin de regagner les ménages aux budgets serrés.
Certains ont revu leurs recettes pour retirer les additifs controversés, d’autres communiquent sur des emballages éco-responsables ou le soutien aux filières locales (légumes français, poissons issus de pêcheries durables, etc.).
Cette stratégie vise à moderniser l’image du surgelé aux yeux du grand public.
Parallèlement, de nouvelles entreprises et start-ups apportent un vent de fraîcheur.
On voit émerger des acteurs ultra-spécialisés misant sur la qualité et l’originalité. Par exemple, la jeune pousse Yooji s’est fait connaître avec ses purées bio surgelées pour bébés, proposées en petits galets portionnables.
Cette innovation répond à une attente des parents : offrir du fait-maison sain et pratique, en conjuguant nutrition infantile et anti-gaspillage.
D’autres start-ups explorent le créneau du « surgelé premium » avec des plats cuisinés gastronomiques prêts en quelques minutes, ou le créneau du zéro-déchet avec la livraison de produits surgelés en contenants réutilisables.
L’innovation devient un moteur de relance : en 2023, les produits surgelés représentaient d’ailleurs 8,1 % des innovations alimentaires lancées en France (mesuré en nouveaux produits), signe que la filière se renouvelle et investit pour l’avenir.
En conclusion...
En somme, le secteur des surgelés joue son va-tout.
Fort de ses acquis, une place de choix dans les congélateurs du monde entier, il doit se réinventer pour dissiper les doutes et coller aux nouvelles exigences.
Les efforts de transparence, de durabilité et de segmentation menée par les industriels et distributeurs témoignent d’une réelle volonté de relance stratégique.
Reste à convaincre les consommateurs que le surgelé de 2025 n’est plus tout à fait celui d’hier : plus vertueux, plus qualitatif, il peut retrouver le chemin de la croissance.
À défaut, le risque serait de voir s’installer un déclin progressif de cette catégorie autrefois révolutionnaire.
L’issue n’est pas écrite, mais une chose est sûre : les surgelés sont bel et bien à la croisée des chemins.
Sources : Baromètre Le Monde du Surgelé/Circana (ventes 2023), Données SIAL Paris, FranceAgriMer, LSA & agro-media.fr (parts de marché par segment), communiqués industriels