Pénurie et qualité des matières premières : l’agroalimentaire face à une équation de plus en plus complexe
L'agroalimentaire français face à la raréfaction des matières premières
Une tension mondiale sur les matières premières agricoles
Dans un monde bouleversé par les chocs climatiques, géopolitiques et économiques, l’accès à des matières premières agricoles en quantité suffisante et de qualité devient un défi stratégique majeur.
Selon la FAO, les pertes agricoles dues aux aléas climatiques ont atteint plus de 3 000 milliards de dollars entre 2008 et 2018, et ce chiffre continue de croître.
La guerre en Ukraine a accentué les tensions sur le blé, les huiles végétales et les engrais.
En parallèle, l’Inde, la Thaïlande ou encore le Vietnam multiplient les restrictions à l’exportation pour sécuriser leur approvisionnement intérieur.
Résultat : les cours mondiaux restent volatils. Le FAO Food Price Index est toujours 20 % au-dessus de son niveau pré-Covid malgré une légère détente en 2024.
En France : dépendance accrue et qualité en berne
L’agroalimentaire français est pris en étau entre une hausse des prix amont et des exigences aval de plus en plus fortes (traçabilité, durabilité, labels qualité).
Or, le secteur dépend fortement des importations :
70 % du soja, 50 % des fruits, 30 % des légumes consommés en France sont importés
La production nationale souffre, elle, de baisses de rendement : le maïs a connu en 2022 sa pire récolte depuis 30 ans, et les sécheresses successives ont touché la viticulture, les céréales et les cultures maraîchères
Côté qualité, les industriels alertent : les écarts de calibre, la présence de résidus ou les pertes post-récolte compliquent la transformation.
Selon l’ANIA (2024), un industriel sur deux a dû revoir ses recettes ou ses conditionnements faute de matières premières conformes.
Comment réagir ? Sept leviers pour sécuriser l’approvisionnement
1. Relocaliser intelligemment
Favoriser la relocalisation de certaines cultures (légumineuses, céréales, fruits transformés, etc.) via des contrats pluriannuels et des incitations économiques. Cela implique de bâtir des relations de confiance avec les agriculteurs et les coopératives locales.
2. Diversifier les sources d’approvisionnement
Ne plus dépendre d’un seul bassin ou d’un seul pays. Multiplier les fournisseurs, y compris à l’échelle européenne ou méditerranéenne, permet d’amortir les chocs climatiques ou géopolitiques localisés.
3. Miser sur les ingrédients alternatifs et les coproduits
Tester des substitutions en R&D : fruits hors calibres, protéines végétales locales, coproduits agricoles (drêches, épluchures, etc.). Cela répond aussi aux enjeux de durabilité et de lutte contre le gaspillage.
4. Co-investir dans la montée en qualité amont
Financer des équipements de tri, de séchage ou de stockage chez les producteurs pour garantir la qualité à la récolte. Cela peut aussi passer par des labels filière (HVE, bio, Zéro Résidu…) co-construits avec les marques.
5. Intégrer des outils d’analyse de risque climatique et d’assurance
Mettre en place des outils prédictifs pour mieux anticiper les aléas (sécheresse, gel, etc.) et utiliser des solutions assurantielles ou de couverture des prix pour réduire la volatilité des coûts.
6. Repenser les recettes et les process industriels
Adapter les formulations pour plus de flexibilité : tolérance à la variabilité du goût, de la texture ou de la couleur. Certaines marques réussissent à éduquer leurs clients sur ces changements.
7. Créer des coalitions sectorielles ou interprofessionnelles
Travailler collectivement au sein de filières (blé, lait, fruits…) pour structurer l’amont et mutualiser les risques. C’est aussi un levier d’influence auprès des pouvoirs publics.
Conclusion : l’agilité comme nouvelle norme stratégique
Le temps où l’approvisionnement se gérait comme un simple enjeu logistique est révolu. Aujourd’hui, c’est une question de souveraineté alimentaire, de résilience économique et de transformation industrielle.
Les marques les plus performantes seront celles qui penseront en filière, agiront en réseau et innoveront en proximité. Faire le pari de la coopération et de la flexibilité, c’est déjà tracer un chemin plus sûr dans l’incertitude.